Création le 15 octobre 2021 à la Maison d’Arrêt du Val d’Oise – Osny
Le poète, en ses chants où l’amertume abonde,
Reflétait, écho triste et calme cependant,
Tout ce que l’âme rêve et tout ce que le monde
Chante, bégaie ou dit dans l’ombre en attendant
Prélude des chants du crépuscule – Victor Hugo
Les Danses du Crépuscule est une œuvre chorégraphique pour et par une dizaine d’hommes aujourd’hui détenus en Maison d’Arrêt.
C’est avant tout une histoire de leurs corps. Des corps qui, aujourd’hui, simplement sur un temps donné ne bénéficient pas de la même liberté que les autres corps.
Des corps qui sont aujourd’hui dans des espaces restreints, des corps qui cohabitent de façon constante avec d’autres corps, des corps épiés, souffrants, des corps souvent mal écoutés…
Des corps qui connaissent des techniques, qui savent faire des choses différentes, et qui ici sont réunis par le seul point commun d’être privés de liberté. Des corps dont la société voudrait nous faire croire qu’ils sont différents, inaptes, peut-être même effrayants, et qui pourtant sont humains.
Imaginons maintenant ces corps se mettre à danser. Toutes ces forces ensemble se mettent à l’unisson pour créer une entité soudée, consciente, puissante, criante…
Ces corps qui s’entraident pour aller plus loin, plus haut, plus fort
Tous ces corps se mettent aussi, paradoxalement, à respirer, à lâcher prise, à céder au poids.
Ces personnes deviennent alors singulières. Leurs histoires dépassent celles de corps enfermés. Elles dansent et narrent sur scène l’unique histoire qu’elles peuvent partager pleinement : la leur.
Et cette histoire comprend l’ailleurs: les projections, les envies, les peurs de l’avenir, les souvenirs. Elle décale les représentations de tout un chacun pour laisser à entendre et à voir les personnes. Elle laisse place à l’humain.
Afin que chaque danseur du Crépuscule prenne la parole, sous forme de témoignages oraux et dansés, Lou Cantor chorégraphe, accompagnée de Rozenn Le Berre, autrice, cherche activement les moyens de laisser coûte que coûte place à leurs vies. Durant la création, elles mènent des temps d’écriture et de discussion autour des vies de chacun et de leurs souvenirs, en les reliant à leurs situations actuelles. Ces témoignages sont restitués sur scène, par bande sonore ou par textes récités, et toutes les pépites de gestes qui existent chez chacun prennent vie sur le plateau.
Puisque la musique fait partie des arts qui peuvent encore exister et résonner dans une cellule, Wolfgang Amadeus Mozart accompagne les danseurs du Crépuscule avec sa fougue, sa tendresse et sa puissance et y rencontre d’autres compositeurs plus actuels.
« La musique (baroque) a le pouvoir de dissiper les ténèbres, de nous arracher à notre tristesse, à nos angoisses, à notre pessimisme et de nous insuffler la joie de vivre, le bonheur d’exister, d’être ici et maintenant. »
Comme le déclare J.K. Stefansson dans son roman « D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds », il s’agit dans les Danses du Crépuscule de convoquer tout ce que la musique touche chez chaque humain, et les œuvres de Mozart permettent de soutenir l’unité et la force du groupe.
Pour cela, le chant prend place comme une danse, et tous chantent Mozart en chœur pour laisser petit à petit place à toutes musiques qui leur sont plus familières et qui les ont accompagnées tout au long de leur vie.
« Dans ce livre, il y a tous les contraires, le doute et le dogme, le jour et la nuit, le coin sombre et le point lumineux, comme dans tout ce que nous voyons, (…) comme dans l’histoire qu’on nous fait, comme dans la vie que nous nous faisons. »
« Le dernier mot que doit ajouter ici l’auteur, c’est que dans cette époque livrée à l’attente et à la transition, dans cette époque où la discussion est si acharnée, si tranchée, si abolument arrivée à l’extrême, qu’il n’y a guère aujourd’hui d’écoutés, de compris et d’applaudis que deux mots, le oui et le non, il n’est pourtant, lui, ni de ceux qui nient, ni de ceux qui affirment.
Il est de ceux qui espèrent. »
Préface des chants du crépuscule – Vicor Hugo